L'étude des chercheurs a quantifié la mesure dans laquelle l'automatisation a contribué à l'inégalité des revenus aux États-Unis au cours des dernières décennies. Pour réaliser cette étude, ils ont utilisé les statistiques du Bureau of Economic Analysis (BEA) des États-Unis sur le degré d'utilisation de la main-d'œuvre humaine dans 49 industries entre 1987 et 2016, ainsi que des données sur les machines et les logiciels adoptés par les entreprises pendant cette période. Les chercheurs ont également utilisé des données qu'ils avaient précédemment compilées pendant au moins une vingtaine d'années (de 1993 à 2014) sur l'adoption des robots aux États-Unis.
En outre, à l'aide des données issues du US Census Bureau, ils ont suivi les résultats des travailleurs pour environ 500 sous-groupes démographiques. Ceux-ci ont été répartis selon le sexe, l'éducation, l'âge, la race et l'origine ethnique et le statut d'immigration, tout en examinant l'emploi, les salaires horaires corrigés de l'inflation et plus encore. L'étude, intitulée "Tasks, Automation and the Rise in US Wage Inequality", a été publiée dans la revue scientifique Econometrica en novembre dernier. Ses auteurs sont l'économiste Daron Acemoglu, qui est professeur d'institut au MIT, et Pascual Restrepo, professeur adjoint d'économie à l'université de Boston.
Dans des études antérieures, les chercheurs ont constaté que les robots ont à eux seuls remplacé un nombre important de travailleurs aux États-Unis, aidé certaines entreprises à dominer leur secteur et contribué aux inégalités. Depuis 1980, l'écart de revenus entre les travailleurs les plus instruits et les moins instruits se serait considérablement creusé aux États-Unis. Leur étude quant à elle rapporte que cet écart s'est beaucoup plus creusé du côté des hommes que des femmes. Elle estime que l'automatisation a réduit les salaires des hommes sans diplôme d'études secondaires de 8,8 % et des femmes sans diplôme d'études secondaires de 2,3 %.
Depuis 1980 aux États-Unis, les revenus corrigés de l'inflation des personnes titulaires d'un diplôme universitaire ou postuniversitaire ont considérablement augmenté, tandis que les revenus corrigés de l'inflation des hommes sans diplôme d'études secondaires ont chuté de 15 %. Selon l'étude d'Acemoglu et de Restrepo, l'inégalité croissante des revenus pourrait également découler, entre autres, du déclin de la prévalence des syndicats (un sujet hautement sensible aujourd'hui dans les entreprises technologiques), de la concentration du marché entraînant un manque de concurrence pour la main-d'œuvre, ou d'autres types de changements technologiques.
Acemoglu a déclaré qu'en matière de perte de salaire pour les employés, l'automatisation a des effets distributifs assez importants, en particulier pour les travailleurs de services peu qualifiés. Il prend l'exemple des bornes de paiement automatique. Acemoglu qualifie ces types d'outils de "technologie moyenne" ou "d'automatisation moyenne", en raison des compromis qu'ils comportent. Ces technologies sont bonnes pour les résultats des entreprises, mauvaises pour les employés du secteur des services, et peu importantes en matière de gains de productivité globale, véritable marqueur d'une innovation susceptible d'améliorer notre qualité de vie globale.
« Les changements technologiques qui créent ou augmentent la productivité d'une industrie, ou la productivité d'un type de travail, créent des gains de productivité importants, mais n'ont pas d'effets distributifs considérables. En revanche, l'automatisation crée des effets distributifs très importants et peut ne pas avoir de grands effets sur la productivité », explique Acemoglu. Lorsque vous utilisez les caisses automatiques des supermarchés, il est peu probable que vous ensachiez vos achats aussi efficacement que les caissiers humains. Ainsi, le principal avantage de l'automatisation pour les magasins est qu'elle réduit le coût de l'ensachage.
Les recherches d'Acemoglu et Restrepo ont été soutenues par Google, la Fondation Hewlett, Microsoft, la National Science Foundation, Schmidt Sciences, la Fondation Sloan et la Fondation Smith Richardson. D'autres recherches ont trouvé des liens entre l'automatisation et l'insécurité de l'emploi. Une étude réalisée en 2016 par le programme Oxford Martin School et Citi sur la technologie et l'emploi a révélé que les pays en développement présentaient un pourcentage plus élevé d'emplois risquant d'être automatisés. Selon l'étude, environ un tiers des emplois en Europe pourraient être menacés par la montée de l'automatisation dans les prochaines années.
Par ailleurs, selon un rapport de Forrester publié en janvier 2022, l'automatisation pourrait supprimer 12 millions d'emplois en Europe d'ici 2040. La concurrence, la réduction des coûts, la Covid-19 et le vieillissement des populations constituent les principaux facteurs qui devraient accélérer l'adoption de l'automatisation. Ensemble, les cinq principales économies européennes - France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni - devraient compter 30 millions de personnes en âge de travailler en moins. Cependant, les auteurs du rapport ont également laissé entendre que de nouvelles opportunités seront créées dans les industries en croissance.
L'étude d'Acemoglu et Restrepo intervient à un moment où le débat sur la question de savoir s'il faut taxer ou non les robots s'intensifie. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander une taxation des robots en vue de combattre les effets de l'automatisation sur l'inégalité des revenus. À ce propos, une étude publiée le mois dernier par des économistes du MIT suggère que l'introduction d'une taxe sur le travail des robots, de préférence une taxe modeste, inciterait les entreprises à conserver les travailleurs, tout en compensant une partie des charges sociales perdues par une réduction des effectifs. Bien sûr, les conclusions de l'étude ne font pas l'unanimité.
D'après les calculs des économistes, une taxe effective sur les robots se situerait probablement entre 1 % et 3,7 %. Le rapport estime que si la taxe est beaucoup plus élevée, elle exagérerait le rôle que jouent les robots dans les routines opérationnelles des entreprises ; et si elle est plus faible, les entreprises ne seraient pas du tout incitées à conserver leurs employés humains.
Source : Rapport de l'étude
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