Interfaces cerveau-ordinateur (ICO) : le nouveau terrain de jeu des investisseurs
Pour faire simple, une interface cerveau-ordinateur (ICO) est un système informatique qui acquiert des signaux cérébraux, les analyse et les traduit en commandes qui sont transmises à un dispositif de sortie pour effectuer une action souhaitée. Elle n'utilise donc pas les voies de sortie normales du cerveau que sont les nerfs périphériques et les muscles. L'origine des ICO remonte aux années 1970, lorsque les premiers dispositifs ont été testés sur des animaux de laboratoire. Au fil des années, elles sont devenues plus sophistiquées et visent à permettre aux paralytiques de bouger des bras robotisés, de jouer à des jeux vidéo et de communiquer avec leur esprit.
Neuralink, une startup américaine de neurotechnologie fondée par Elon Musk en 2016, a annoncé en septembre avoir achevé les tests sur les animaux et obtenu le feu vert des autorités pour commencer les tests de ses implants cérébraux sur les humains. Neuralink vise initialement à permettre aux personnes paralysées de contrôler un curseur ou un clavier par la seule force de leur pensée, aider les personnes souffrant de maladies neurodégénératives ou de troubles mentaux… Mais ce n'est pas tout. Musk a déclaré qu'il souhaite à terme fusionner les humains avec l'IA dans le but d'augmenter les capacités cognitives, sensorielles ou émotionnelles des humains.
En attendant, le secteur est devenu plus compétitif et certains acteurs testent déjà leurs implants cérébraux. Cette année, Synchron, un rival de Neuralink, a démontré la sécurité à long terme de son implant chez les patients. D'autres startups ont testé de nouveaux dispositifs sur des sujets humains, tandis que de nouvelles entreprises sont apparues sur la scène. Parmi elles, on peut citer Motif Neurotech et Forest Neurotech. Face à la concurrence, Neuralink accélère le pas et lève de nouveaux fonds. Des documents déposés auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis montre que l'entreprise a levé récemment 43 millions de dollars.
Cela porte à plus de 323 millions de dollars le montant total des fonds levés par Neuralink. Selon certains rapports, les investissements publics, en particulier ceux de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) des États-Unis et de la Brain Initiative des National Institutes of Health, ont également contribué à faire avancer le domaine. Cette dernière aurait injecté plus de 3 milliards de dollars dans la recherche en neurosciences depuis son financement initial en 2014. En outre, Synchron, basé à New York, aurait levé environ 145 millions de dollars depuis sa création en 2016. L'entreprise a pris de l'avance sur Neuralink dans les tests sur les humains.
« La science et la technologie ont atteint un niveau de maturité tel que nous pouvons commencer à avoir des effets réels et spectaculaires sur la condition humaine. Des gens comme Elon Musk reconnaissent ces points d'inflexion et investissent des capitaux pour les commercialiser », affirme Jacob Robinson, PDG et fondateur de la startup Motif Neurotech et professeur d'ingénierie à l'université Rice. Selon Sumner Norman, cofondateur de la startup Forest Neurotech, l'on pourrait être amené à penser qu'il s'agit d'une année de rupture pour le secteur de la neurotechnologie. Mais il affirme qu'il s'agit de résultat de décennies de travail dans le milieu universitaire.
Les fabricants d'implants cérébraux s'attaquent aux maladies neurodégénératives
Les startups de neurotechnologie tentent aujourd'hui de créer des systèmes sans fil avec des implants plus petits, plus souples ou capables de capturer plus de données neuronales que le système rigide "Utah array" en forme de peigne qui a été le pilier de la recherche sur les ICO. Par exemple, Synchron développe un implant cérébral semblable à un stent. En janvier, Synchron a publié des données clés concernant quatre patients paralysés en Australie, montrant que son dispositif cérébral est capable de transmettre en toute sécurité des signaux neuronaux depuis l'intérieur d'un vaisseau sanguin dans le cerveau pendant un an, sans effets secondaires graves.
La qualité du signal est également restée stable pendant les 12 mois de l'étude. L'appareil aurait permis aux participants d'envoyer des SMS, d'envoyer des courriels et de naviguer sur Internet. Selon les experts, sa nouveauté réside dans le fait qu'il ne nécessite pas d'opération à cerveau ouvert. Il est implanté par une fente à la base du cou et remonté par la veine jugulaire dans le cortex moteur, la partie du cerveau qui dirige les mouvements. Le dispositif est alimenté par une petite batterie placée sous la peau de la poitrine. Synchron aurait posé des implants à dix patients, dont six dans le cadre d'un essai de faisabilité aux États-Unis soutenu par la Brain Initiative.
Cette année, d'autres startups ont mené des expériences sur l'homme avec de nouveaux dispositifs. Au printemps, la société Precision Neuroscience, basée à New York, a posé son implant cérébral sur trois personnes pendant environ 15 minutes. Les patients subissaient une opération du cerveau pour d'autres raisons - deux étaient éveillés à ce moment-là - et Precision voulait voir si son implant pouvait lire, enregistrer et cartographier avec succès l'activité électrique de la surface du cerveau. La startup a depuis effectué des tests similaires sur deux autres patients et a déclaré qu'elle prévoit d'étendre l'étude à d'autres sites au cours de l'année prochaine.
Dans un premier temps, Precision prévoit d'utiliser son implant pour aider les personnes paralysées à utiliser un ordinateur et à communiquer numériquement. À terme, elle entend traiter une série de maladies neurologiques et neurodégénératives, dont l'anxiété, la dépression et la démence. La startup Motif Neurotech s'attaque aussi aux maladies mentales. Son appareil est conçu pour émettre des impulsions de stimulation électrique afin de rétablir une activité saine des circuits. Une future version lira les données relatives à l'état du cerveau et y réagira. Elle teste depuis septembre son dispositif sur un patient qui a subi l'ablation d'une tumeur cérébrale.
Le dispositif de Motif Neurotech s'insère dans le crâne juste au-dessus de la dure-mère, la membrane protectrice qui enveloppe le tissu cérébral. Le dispositif ciblera le cortex préfrontal, qui est altéré chez les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs. L'implant est alimenté par une technologie magnétoélectrique sans fil qui élimine le besoin d'une batterie. Un capuchon spécial porté pendant environ 20 minutes par jour recharge le stimulateur.
Les ICO suscitent des inquiétudes relatives à l'éthique et à la sécurité de la technologie
L'une des principales préoccupations relatives aux implants cérébraux est qu'ils peuvent endommager le tissu cérébral. Le cerveau humain est très sensible, même une petite lésion peut causer des dommages permanents ou la mort. Ainsi, si la puce cérébrale est implantée d'une manière incorrecte, elle peut entraîner des infections et des inflammations dans le cerveau. Cela peut augmenter le risque de développer plus tard dans la vie une maladie neurodégénérative (une catégorie de maladies que les entreprises cherchent à combattre). Par exemple, lors d'essais sur des animaux, Neuralink aurait causé la mort de plus d'un millier d'entre eux en quatre ans.
Selon des documents internes examinés par des enquêteurs en décembre 2022, environ 1 500 animaux - dont plus de 280 moutons, cochons et singes - seraient morts à la suite de tests de Neuralink depuis 2018. L'entreprise a également mené des recherches sur des rats et des souris. Elle a été accusée de causer des souffrances et des décès inutiles d'animaux sous la pression de son PDG Elon Musk. Dans une plainte déposée contre Neuralink, les plaignants affirment qu'un ordre d'essai précipité de Musk a entraîné des expériences bâclées, violant ainsi la loi américaine sur le bien-être des animaux de 1966, connue sous le nom d'Animal Welfare Act (AWA).
Les enquêteurs ont identifié quatre expériences impliquant 86 porcs et deux singes qui ont été entachées ces dernières années par des erreurs humaines. « Toutes ces erreurs auraient été causées par un calendrier précipité et auraient finalement affaibli la valeur de recherche des expériences, ce qui a exigé que les tests soient répétés, conduisant ainsi à la mise à mort d'un plus grand nombre d'animaux », ont déclaré à l'époque des membres du personnel. Plusieurs groupes de défense des animaux ont accusé Musk et Neuralink de cruauté envers les animaux. En plus de cela, les implants cérébraux suscitent d'autres préoccupations, notamment :
Possibilité d'abus et de mauvaise application
Un autre inconvénient des implants cérébraux est qu'ils peuvent être utilisés de manière abusive par des personnes qui veulent contrôler d'autres personnes ou leur voler des informations. L'abus le plus probable serait le fait de gouvernements, d'agences de sécurité et d'institutions qui voudraient l'utiliser pour manipuler des personnes ou des entreprises qui voudraient lire tous vos courriels et savoir ce que vous pensez, ce qui constitue de nouveaux risques pour la cybersécurité.
Les effets à long terme n'ont pas été bien étudiés
Les implants cérébraux pourraient avoir des effets importants sur le cerveau et le corps humain. Selon les experts, certains de ces effets peuvent être positifs, mais d'autres peuvent être négatifs, voire dangereux. Jusqu'à présent, les effets à long terme des interfaces cerveau-ordinateur sur l'homme ont fait l'objet de très peu de recherches. Ce manque de recherche signifie qu'il est impossible de connaître l'ampleur réelle de ces effets secondaires.
Des risques d'atteinte à la vie privée
Un autre problème posé par les implants cérébraux est qu'ils peuvent porter atteinte à la vie privée d'une personne en lisant ses pensées et en enregistrant ses souvenirs. Cela signifie que si la puce est implantée dans votre cerveau, toute personne y ayant accès pourra lire vos pensées et voir ce dont vous vous souvenez. Elle pourrait également être utilisée par des gouvernements ou des entreprises privées pour surveiller les pensées et les actions des personnes à leur insu ou sans leur consentement. Certains réfutent toutefois cet argument, affirmant que les ICO ne lisent pas les pensées, mais des signaux.
Risque de dépendance, d'anxiété ou de dépression
Un autre inconvénient des implants cérébraux est le risque de dépendance. Si les personnes peuvent accéder à des capacités surhumaines grâce à leurs implants, elles pourraient en devenir dépendantes. L'expérience pourrait être si puissante qu'elle leur ferait perdre tout intérêt pour les expériences de la vie réelle et leur donnerait l'impression de ne pas être à la hauteur de leur potentiel. Ce type d'accoutumance pourrait rendre les personnes déprimées par leur incapacité à réaliser leur véritable potentiel et peut les conduire au suicide si elles ne peuvent plus accéder à leurs implants cérébraux.
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