Les voitures connectées sont une aubaine pour les compagnies d'assurance
L'Internet des objets (IdO) s'est rapidement étendu aux voitures modernes avec la promesse d'améliorer l'expérience de conduite des consommateurs. Toutefois, il s'est avéré au fil des ans que les voitures connectées à Internet sont un cauchemar pour la protection des données personnelles et certains analystes les considèrent comme la pire catégorie de produits de l'IdO. Un rapport publié lundi par le New York Times (NYT) ajoute de nouvelles angoisses aux préoccupations existantes en mettant en lumière ce qui ressemble à une entente malicieuse entre les constructeurs automobiles et les compagnies d'assurances.
Le rapport révèle que les constructeurs partagent les habitudes de conduite de leurs clients avec les compagnies d'assurance. Cet échange d'information est fait sans le consentement explicite des conducteurs. Des entreprises telles que General Motors, Honda, Kia et bien d'autres encore, auraient toutes adopté cette approche. Elles utilisent les données des voitures connectées pour établir un profil comportemental du conducteur. Ainsi, ce profil pourrait indiquer notamment que le conducteur freine souvent trop vite, qu'il accélère souvent ou qu'il a tendance à accélérer de manière agressive lorsque le feu passe au vert.
Le rapport a notamment épinglé General Motors pour avoir partagé des données avec des tiers avec peu de documentation (ou une documentation ambiguë). Le service optionnel OnStar Smart Driver de General Motors propose de suivre les habitudes de conduite des clients, prétendument pour les aider à adopter un comportement plus sûr et plus économique. Cependant, il n'indique pas explicitement que les statistiques collectées peuvent finir dans les bases de données d'entreprises tierces chargées d'analyser ces données afin d'établir des profils pour les assureurs. Ce qui constitue une atteinte à la vie privée des clients.
L'une des entreprises d'analyse de données citées par le rapport est LexisNexis. LexisNexis, dont le siège se trouve à New York, est un courtier en données qui possède une unité appelée "Risk Solutions" qui propose des analyses de données sur un certain nombre de secteurs, dont l'automobile. Les données de conduites seraient généralement centrées sur les accidents et les diverses infractions au Code de la route. Selon le rapport, Kenn Dahl, un Américain de 65 ans, a été pris de court en 2022 lorsqu'il a découvert que sa prime d'assurance a augmenté de 21 %. Dahl s'est alors adressé à d'autres compagnies d'assurance.
Toutefois, ces dernières lui ont également proposé des tarifs qu'il jugeait exorbitants. Il a alors découvert, par l'intermédiaire d'un des agents, que la raison se trouvait dans les données de son rapport LexisNexis. Le rapport de divulgation au consommateur de 258 pages que Dahl a reçu de l'entreprise, on en dit beaucoup sur ses habitudes de conduite de sa fidèle Chevrolet Bolt. Les données incluses dans le rapport sont stupéfiantes et suscitent des préoccupations en matière de vie privée. Un ensemble de données d'environ 130 pages présentait tous les voyages effectués par Dahl au cours des six derniers mois : 640 au total.
Le rapport détaille les dates de ces déplacements, l'heure à laquelle ils ont commencé et terminé, ainsi que la distance parcourue, tout en expliquant ses habitudes de conduite (vitesse, freinage et accélération). Il semble que Dahl ait parfois conduit de manière imprudente, ce qui a eu pour effet d'augmenter son taux d'assurance. Dahl considère cela comme de la trahison. Il a déclaré : « j'ai eu l'impression d'être trahi. Ils prennent des informations dont je ne savais pas qu'elles allaient être partagées et ils s'en prennent à notre assurance ». Les commentaires suggèrent que cette pratique s'étend à l'échelle de l'industrie.
Les politiques de collecte de données de conduite ne sont pas transparentes
Les données de conduite incluses dans les rapports de divulgation au consommateur (Consumer Disclosure Report) de LexisNexis sont fournies par les constructeurs automobiles, comme Honda, Kia et General Motors. LexisNexis analyse ensuite ces données afin de créer un score de risque pour les assureurs. Selon Dean Carney, porte-parole de LexisNexis, ce score est utilisé comme un facteur parmi d'autres pour créer une couverture d'assurance plus personnalisée. Au cours du seul mois précédent, huit compagnies d'assurance ont demandé à LexisNexis des informations sur Dahl, ce qui montre l'ampleur du phénomène.
Bien entendu, ce type de collecte de données n'est pas nouveau, car certains assureurs proposent des réductions potentielles si vous acceptez qu'un dispositif surveille vos habitudes de conduite. À titre d'exemple, Progressive propose son programme Snapshot pour récompenser les bons comportements au volant, auquel les conducteurs doivent s'inscrire eux-mêmes. Cela peut toutefois augmenter votre prime d'assurance lorsque vous adoptez un comportement risqué. De son côté, Tesla propose sa propre option d'assurance dans laquelle les clients doivent accepter que leur comportement au volant soit suivi.
Mais le rapport du NYT couvre les politiques de collecte moins transparentes où les conducteurs peuvent ne pas savoir que certaines données pourraient finalement être partagées avec les compagnies d'assurance. «Je suis surpris. Étant donné que le consommateur moyen ne s'attend pas raisonnablement à ce que cela se produise, l'industrie devrait certainement avoir pour pratique d'en faire état de manière visible », a déclaré Frank Pasquale, professeur de droit à l'université de Cornell. General Motors indique que la fonction OnStar Smart Driver est facultative pour les clients et qu'ils peuvent s'en désinscrire à tout moment.
Dahl aurait activé cette fonction d'évaluation de la conduite dans sa voiture connectée. Mais il semble qu'en activant la fonction, il n'avait pas lu les petits caractères concernant la possibilité que ces données soient transmises à des courtiers. Dahl n'est que l'une des nombreuses personnes que le NYT a trouvées et qui ont vu leurs frais d'assurance augmenter en raison d'une collecte de données dont elles ignoraient l'existence. Cependant, le rapport indique aussi que certains conducteurs n'avaient même pas activé la fonction, mais ont tout de même subi une augmentation de leur taux d'assurance après avoir été suivis.
Selon le rapport, lorsque cela se produit, ce n'est presque jamais évident. LexisNexis se targue de pouvoir fournir aux compagnies d'assurance le "comportement de conduite dans le monde réel" de plus de 10 millions de véhicules. Le rapport a suscité des préoccupations parmi les consommateurs. Certains conducteurs dénoncent une atteinte à leur vie privée et pourraient opter à l'avenir pour des compagnies d'assurance qui n'utilisent pas les données relatives à la conduite. Dans le même temps, certains critiques suggèrent que cette nouvelle approche pourrait ouvrir la voie à des habitudes de conduite plus conscientes.
Selon ces critiques, le fait de savoir que la prime d'assurance peut potentiellement diminuer si l'on évite les freinages brusques ou les excès de vitesse peut inciter les conducteurs à agir plus judicieusement sur la route. Ils sont convaincus que cette approche est susceptible de révolutionner le secteur de l'assurance. « Il peut s'agir d'une aubaine pour les conducteurs sûrs qui roulent peu et ont de bonnes habitudes de conduite ; ces conducteurs sont susceptibles de bénéficier d'une réduction de leurs primes. Mais l'ajustement des primes n'est pas une mince affaire », note un critique.
« D'un point de vue analytique, il est essentiel de comprendre si ce partenariat conduit à une évaluation équitable et justifie des primes plus élevées. Si le partage des données de conduite peut permettre d'adapter plus précisément les tarifs au niveau des risques individuels, il soulève également des questions potentielles telles que les problèmes de confidentialité et l'étendue de l'utilisation des données », a-t-il ajouté. Mais cela conduit-il à des habitudes de conduite plus sûres dans l'ensemble ? Cette question reste au cœur du débat.
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Cette collecte et l'utilisation qui est faite des données sont-elles légales ?
Quelles pourrait être les implications de ce partage de données avec les assureurs ?
Selon vous, quels sont les risques pour les consommateurs ? Y a-t-il des avantages potentiels ?
Cette approche peut-il contraindre les conducteurs à adopter des habitudes de conduite plus sûres ?
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